Le rite de possession (lila de derdeba )
Lors du rite de possession, les musiciens, après avoir effectué
leur répertoire de divertissement (koyyou), vont jouer le répertoire
sacré (mluk) où les adeptes et les danseurs vont être
sujet à des phénomènes de transe. Le maître musicien
va enchaîner. de minuit à sept heures du matin, une série
de devises chantées, accompagnées par son guembri et par les
joueurs de qraqeb.
Chaque devise chantée fera référence à un djinn
ou à un mluk (génie, esprit) bien déterminé.
Les entités invoquées peuvent être des entités
purement surnaturelles ou des saints ayant réellement existé.
Il y a sept cohortes de mluk et chacune d'entre elles possède à
sa tête un ou plusieurs esprits dominants. Les mluks ont chacun une
devise chantée, un encens particulier (que l'on brûle quand l'esprit
prend possession d'un adepte), une couleur.
On distingue les mlouk de la mer (moussaouiyin) auxquels on attribue le bleu
clair ; les célestiels (samaouiyin) ont pour couleur le bleu foncé
; les mlouk de la forêt, (rijal al ghaba) originaires d'Afrique ont
pour couleur le noir tout comme les mlouk appartenant à la cohorte
de Sidi Mimoun ; enfin les mlouk rouges (al houmar), liés au sang et
qui hantent les abattoirs. Le blanc et le vert sont réservés
aux saints invoqués, notamment Moulay Abdelkader Jilali et les chorfa.
La couleur jaune est attribuée à l'esprit féminin Lala
Mira.
Le Coran précise aussi que les djinns sont crées à partir
de feu clair sans fumée et se différencient des anges qui sont
crées de lumière. Les djinns sont encore décrits comme
des êtres plus subtils que les êtres humains. Ils possèdent
leurs principales fonctions psychologiques et physiologiques ; ils mangent,
boivent, se marient, engendrent et meurent. Ils ont même une constitution
sociale calquée sur celle des hommes. Autant que les hommes, ils sont
doués d'intelligence et responsables de leurs actes. L'activité
des djinns se déroule la nuit et se termine avant l'aube, lorsque le
muezzin appelle à la prière.
Les danseurs-possédés entretiennent tous une relation
plus ou moins proche avec un esprit cité précédemment.
Pendant le rite de possession (lila de derdeba), lorsque le maâlem commence
à jouer le thème et la devise d'un génie, le possédé
qui se rattache à cet esprit entrera en transe et s'identifiera à
lui. Cette danse de possession sera souvent effectuée avec des objets
rituels qui révèlent les attributs du génie possesseur:
danse avec des poignards pour Sidi Hammou, le maître des abattoirs,
avec un bol d'eau sur la tête pour Sidi Moussa (Moïse ).
Quand le danseur entre en transe, la voyante le couvre d'un voile de la couleur
attribuée à l'esprit qui le possède, elle brûlera
également un encens adapté à cet esprit.
Les adeptes du culte sont généralement des malades en quête
de guérison et le culte de possession fonctionne comme une cure. Toutefois,
la possession n'est pas qu'exorcisation, la puissance curative n'est pas la
seule dimension du culte. Le rituel des Gnawa consiste en une sorte "d'initiation
dont le point de départ aura été la maladie" car
nombre de possédés restent dans la confrérie et poursuivent
l'initiation une fois l'équilibre retrouvé. Il y a une hiérarchie
dans la possession: du possédé frappé au possédé
qui maîtrise l'esprit qui l'a au départ tourmenté(celui-ci
deviendra parfois maâlem ou chef de culte). Le culte de possession fonctionne
pour les Gnawa comme une voie (tarique) conduisant à découvrir
la lumière intérieure.
Les pressions extérieures exercées sur les Gnawa sont aujourd'hui
très fortes. Elles viennent d'une part des fondamentalistes musulmans
qui vont tenter de diaboliser leurs pratiques.
D'autre part, de certains modernistes pour lesquels l'idée d'une communication
directe avec la surnature s'avère incompatible avec une certaine idée
de progrès et de civilisation. Ceux-ci tenteront de folkloriser leurs
pratiques en mettant en valeur simplement la musique et les danses mais en
occultant totalement la finalité des rituels.
De plus en plus de maêlem se dirigent vers des activités strictement
musicales, plus lucratives que les activités traditionnelles, et fortement
demandées au Maroc comme à l'étranger.
Toutefois, lors du mois de chabaâne (avant le ramadan) une foule toujours
aussi dense se presse pour assister aux lila des Gnawa dans de nombreuses
villes du Maroc.